Pour illustrer l’article “cancer et travail”, je souhaitais mettre en lumière un témoignage.
Je suis persuadée qu’à travers le monde, de nombreuses femmes se battent tous les jours contre le cancer du sein, tout en continuant à mener de front les activités du quotidien. Dans nos échanges, Karen Yassine m’a parlé de Mariam, cette mère de 4 enfants, membre de la police fédérale aux Etats-Unis qui lutte encore aujourd’hui contre son cancer du sein tout en gérant des activités professionnelles et associatives, en partageant sa bonne humeur. Je l’ai contacté pour savoir si elle voulait bien témoigner et c’est avec enthousiasme qu’elle m’a dit oui.
Dès les premiers échanges sa bonne humeur est communicative. Je me surprends à sourire en expliquant l’objet de mon appel et le sujet que je souhaite aborder. Ce premier contact comme tous les autres par la suite est particulier. Mariam partage avec moi son histoire de manière si simple et spontanée. Elle ne me cache rien des épisodes de crise, de l’angoisse que la situation suscite en passant par les anecdotes poignantes. Je ne saurais pas décrire ou transmettre l’émotion exacte de nos échanges, c’est juste comme quand on parle à une amie de longue date, à cette tante partie trop tôt ‘aux Amériques’. Mariam Spain est américaine. D’origine Malienne, elle est installée aux États-Unis depuis 1986. Elle est maman de 4 enfants dont une petite fille de 6 ans. Mariam travaille comme agent de police au Pentagone mais aussi en tant que consultante (sous-traitant) pour la police fédérale des États- Unis (US Marshall).
La découverte : “ waiting is the hardest thing”
En évoquant la découverte de sa maladie, Mariam m’explique ne rien avoir senti d’anormal, aucune douleur, aucune gêne. Diagnostiquée en Novembre dernier, elle ne s’est pas inquiétée quand pour la première fois elle a senti une grosseur sous l’aisselle. « Les derniers bilans de santé effectués dans le cadre du travail ne révélaient rien de majeur ». Tout de même intriguée, elle se décide à consulter un médecin. Elle se rend dans un centre Urgent Care (alternative aux urgences médicales, on y prend en charge les petites traumatologies et urgences) et passe quelques examens. A l’issue de ce rendez-vous, le médecin lui suggère des examens complémentaires « J’ai demandé s’il y avait quelque chose de grave, ils se sont montrés rassurants en me disant que c’était juste un contrôle. »
Dans la seconde clinique, elle effectue une seconde batterie de tests et examens. L’infirmière qui s’occupe d’elle est sympathique, elles discutent de tout et rien. Peut-être parce que l’époux de cette infirmière est policier, elle se sent proche de Mariam. Elle connait la valeur et la charge de travail du métier. « En m’examinant, elle s’est soudain mise à pleurer. Je lui ai demandé ce qu’il n’allait pas et elle m’a juste répondu que les policiers faisaient un travail formidable en protégeant la population. Je lui ai demandé si c’était sûr, si c’était à cause de mes résultats Elle m’a dit ne rien savoir des résultats. Il fallait être patient et attendre le retour des médecins. C’était peut-être vrai, mais à son départ j’ai eu l’impression qu’elle ne pleurait pas que sur le fait que des policiers soient malades »
Trois médecins sont revenus lui annoncer le diagnostic. Pas de gants, pas de pincettes : madame Spain, vous avez un cancer ! « Je ne saurais pas raconter exactement la scène. A partir de cette annonce, je n’entendais plus personne, j’ai pensé à mes enfants et je mes larmes se sont mises à couler le long de mes joues. Mes enfants, qu’allaient-ils devenir ? ma famille, mon travail ? Comment est-ce que j’allais faire ? Pourquoi est-ce que ça m’arrivait à moi ? Ils ont dû m’appeler plusieurs fois avant que je réagisse. Ils m’ont demandé si je souhaitais être prise en charge immédiatement ou si je voulais un peu de temps pour réfléchir calmement. J’ai choisi la première solution » C’est donc ce 17 Novembre 2016 que Mariam apprend qu’elle a un cancer du sein.
La prise en charge: “When you believe in God, everything is possible”
Mariam me raconte avoir par la suite contacté son médecin traitant pour en savoir plus sur les analyses et la procédure à suivre. Elle avait reçu les résultats des examens, ce moment est sans doute le plus intense de nos échanges. Mariam m’explique le démarrage de cette aventure avec encore beaucoup d’émotion dans la voix. Je peux l’écrire et l’avouer aujourd’hui, la distance et le téléphone ne lui ont pas permis de voir mes larmes à moi de l’autre côté du combiné.
“ Mon médecin m’a dit, j’ai deux nouvelles : une mauvaise et une bonne. La première : le cancer était très agressif (stade III, 36% des personnes atteintes y survivent), la seconde : nous avons une chance de le vaincre, mais nous devons être aussi agressifs que lui, voire plus. » A ce stade, le cancer est décrit comme localement avancé, les tumeurs mesurent plus de 5cm ou ont atteint plus de 4 ganglions. La procédure envisagée par le médecin de Mariam était simple mais sans doute lourd et éprouvant : Chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie, et encore chimiothérapie.
C’est muni de toutes ces informations que Mariam a tenu ses supérieurs hiérarchiques au courant de la situation. Ils ne se sont pas contentés de la plaindre. Ils ont été fortement bienveillants et présents comme le raconte Mariam dans la suite de notre conversation. « Mes collègues ont été merveilleux, de l’annonce de ma maladie à aujourd’hui. Ils aussi ont rapidement mis en place une cagnotte pour m’aider à m’acquitter des soins car même si l’assurance contractée grâce à mon travail prend en charge mes soins à hauteur de 80%, le solde est à ma charge. Mon poste a été aménagé et je travaille maintenant à temps partiel »
Mariam a effectué sa première chimio en Décembre 2016. Cette première phase de chimio (chimiothérapie néoadjuvante) avait pour objectifs de réduire la taille des tumeurs et détruire les cellules cancéreuses présentes dans les ganglions lymphatiques. « C’était très difficile à vivre, on pense tous les jours en se couchant qu’on ne se réveillera pas. Etant toute seule aux Etats-Unis, je devais malgré ma maladie subvenir aux besoins de ma famille et gérer les charges quotidiennes, je devais conserver mon travail. » « La chimio c’est terrible, j’ai été très affaiblie mais j’ai continué à travailler » ; « L’opération de chirurgie a permis d’enlever les tumeurs (13 dans le sein et 7 sous l’aisselle) »; « La radiothérapie c’était tous les jours de la semaine, 5 à 20 mn et il a effectivement fallu faire une session de chimiothérapie. Ce que je fais encore aujourd’hui »
« C’était éprouvant mais il faut bien faire tout ce qui est nécessaire pour sauver sa vie. »
La suite : « Be and stay positive »
Aujourd’hui, Mariam continue de travailler et même s’il ya des jours plus difficiles que d’autres, pour elle, chaque journée est magnifique. Mariam a trouvé dans cette étape la force d’aider les autres patients, de soutenir les personnes qui sont seules, qui n’ont le moral du fait de la maladie « En plus de mon travail, j’aide d’autre personnes malades ou dans le besoin, notamment les femmes. On est tellement fragile quand on est malade. Aider les autres m’aide moi-même dans ma lutte contre la maladie. On discute, on échange sur beaucoup de choses, pour certains ça les aide à accepter et faire faire face à la maladie, pour d’autres il s’agit juste d’être écouté (on se sent tout de suite compris par une personne qui vit ou a vécu la même expérience que nous ».
« Aux USA, la prise en charge n’est pas tout à fait la même qu’en Europe. Comme je l’expliquais, mon assurance prend en charge 80% des frais de soins, je dois régler les 20% restant de ma poche. J’ai une fille de 6 ans dont je dois m’occuper (l’aider pour ses devoirs, m’assurer qu’elle va à l’école…), régler les factures du quotidien (loyer, téléphone, assurance…). Ma vie s’organise donc autour de mon travail, de mon activité d’aide auprès d’autres patients, de ma vie de famille et de mes propres soins. »
Mariam m’explique que pour ne pas être débordée, elle s’est organisée pour faire ses soins le vendredi, ce qui lui permet de se reposer le weekend (au pire, elle pose une journée). Elle fait à manger le dimanche pour toute la semaine, ce qui dégage un peu plus de temps en semaine pour le passer avec sa fille. D’un ton malicieux, elle me dit qu’elle a des rendez-vous avec elle-même. « Aujourd’hui je sais exactement l’effet que les médicaments, les soins et la maladie ont sur moi, je sais exactement où j’aurais mal et quand le moment arrive les médicaments sont déjà prêts. C’est comme un rdv avec soi-même. »Pour conclure, Mariam me précise que pour une femme seule et dont la famille est loin, ce genre d’épreuve n’est pas évidente à gérer. Elle a d’ailleurs fait partir sa fille chez sa sœur en Allemagne pendant 3 mois, pensant que c’était la meilleure solution en attendant d’aller mieux. Mais si Mariam se bat aujourd’hui c’est pour ses enfants « Ma fille me manquait trop, quand elle est revenue je lui ai expliqué que j’étais malade mais que j’allais me battre pour guérir, me battre pour continuer de passer des moments avec elle. Quand je la regarde, je sais pourquoi je me bats ». Mariam s’est sentie entourée par des personnes aimantes et bienveillantes, elles ne sont pas de ‘son sang’ mais elles font désormais partie de sa famille. Des voisins aux collègues en passant par les médecins et quelques fois d’autres patients « Je remercie mes collègues et les personnes qui m’entourent tous les jours. J’ai gagné une famille dans cette épreuve. Ils ont su maintenir une certaine routine et m’ont fait me sentir normale »
Si Mariam devait donner un seul conseil aux malades et à leur accompagnants ce serait de rester positif. C’est la clé de tout ! « Le chemin vers la guérison est composé à mon sens de 10% de solutions médicamenteuses et 90% de joie et d’espoir. C’est normal de pleurer et d’être en colère quand ce type de nouvelle nous tombe dessus, mais la colère nous empêche de nous battre et d’avancer »
Son histoire met en exergue l’importance du mental quand on est malade, de maintenir une activité, de conserver une certaine routine (souriez quand vous passez les voir, parlez de ce qu’ils aiment, promenez nous …)
« Je suis contente de partager cette partie de mon histoire avec d’autres personnes, avec toi, comme avec les femmes que j’accompagne et aide ici aux Etats-Unis, j’aimerais dire aux femmes du monde que c’est possible. C’est possible de travailler malgré sa maladie ; C’est possible de gérer sa famille malgré sa maladie; Ce n’est clairement pas évident au quotidien c’est vrai, mais c’est possible et je le fais tous les jours.«
Je suis particulièrement ravie d’avoir fait la connaissance de cette femme courageuse et inspirante. ‘Be the energy you want to attract’, l’histoire de Mariam et certainement d’autres à travers le monde illustre bien cet adage. Merci d’avoir partagé cette partie de ton histoire avec nous Mariam Spain.